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L'après Bob Denard : « L'époque des mercenaires, c'est terminé »

BARBOUZES. Deux ans après la mort du barbouze médocain Bob Denard, « Hoffman », commandant adjoint de la garde présidentielle, raconte sa mission de onze ans aux Comores

L'après Bob Denard : « L'époque des mercenaires, c'est terminé »

Hier, à Grayan-et-l'Hôpital (33), les fidèles de Denard  ont participé à une cérémonie à l'occasion du deuxième anniversaire de sa mort.  (photo Y. St.-S.)
Hier, à Grayan-et-l'Hôpital (33), les fidèles de Denard ont participé à une cérémonie à l'occasion du deuxième anniversaire de sa mort. (photo Y. St.-S.)

« Sud Ouest ». Comment êtes- vous entré dans la garde présidentielle (GP) comorienne ?

« Hoffman ». J'étais un ancien du 8e RPIMa. Je tenais un bar de paras à Pau. Un jour, un type, un adjoint de Bob Denard, est venu me voir et m'a dit que le Vieux cherchait du monde pour les Comores. Je m'entendais pas avec mon épouse, j'ai profité de l'occasion.

Qu'est-ce qui vous a motivé à l'époque ?

Je ne connaissais rien des Comores, je savais même pas où c'était. Je sais pas vraiment pourquoi on devient mercenaire. Un psychologue pourrait dire que c'est un acte suicidaire. Dans mon cas, il y avait certainement le goût de l'aventure. Et puis, le fric. Je n'avais pas vraiment d'état d'esprit particulier au début.

Quel était votre rôle là-bas ?

J'ai gravi les échelons dans la GP. Après le coup d'État, on devait protéger le président Ahmed Abdallah, que nous avions mis en place. J'étais instructeur, on avait 500 Comoriens à nos ordres. Pour nous, c'était le paradis.

Quelle était votre légitimité pour être aux Comores ?

Sur le moment, je ne me suis pas posé la question. Maintenant, avec le recul, je comprends que l'opposition nous considérait comme des occupants. On a fait un coup d'État et on est resté onze ans. Oui, on peut dire que c'est du néocolonialisme.

Qui vous finançait ?

L'Afrique du Sud, principalement. À la différence des puissances occidentales qui avaient placé ce pays sous embargo, les Comores pouvaient leur vendre des armes. On était une sorte de porte-avions. L'argent arrivait par virement. Je sais qu'il y avait des comptes au Luxembourg.

Denard disait qu'il servait la France...

Comment voulez-vous que l'État français ait pu ignorer nos activités ? Les instructeurs du GIGN venaient nous former, on avait des armes françaises, on était officiellement coopérants, on avait même nos papiers à l'ambassade. Mais il n'y avait pas de contrat. On faisait partie d'un système : un jour c'était blanc, le lendemain c'était noir. On était des fusibles. Si on commence à analyser tout ça, on fait pas ce boulot.

Il y a eu la mort d'Ahmed Abdallah...

C'est là que tout a basculé, en 1989. On a dit beaucoup de choses là-dessus, que Denard a tiré. Je sais pas... Moi, j'étais en manoeuvres à 20 bornes, ce soir-là. À 1 heure du matin, on m'a demandé d'attaquer les forces armées comoriennes. Je l'ai fait. Il n'y a pas eu de morts. J'ai été auditionné pour ça, j'ai fait de la garde à vue. Je ne crois pas que Denard ait tué le président. Pour nous, Abdallah, c'était la poule aux oeufs d'or ; le tuer, ç'aurait été complètement con. On se serait scié la branche. Je vois pas pourquoi le Vieux l'aurait flingué. Si on avait voulu s'en débarrasser, au pire, on aurait fait un attentat !

C'est là que les Français vous délogent ?

On est restés en état de siège pendant trois semaines. Le Vieux a négocié avec les Français. On était une trentaine, jamais on n'aurait fait le poids, mais si le Vieux nous avait demandé de tirer, on l'aurait fait. Moi, je l'aurais suivi dans le monde entier. C'était un meneur d'hommes, ce type. Vous entriez dans son bureau avec vos idées, vous en sortiez avec les siennes.

Il y a aussi eu des périodes violentes dans le parcours de Denard...

Oui, dans les années 60, au Zaïre ou au Biafra, c'était sanglant... Moi, je n'ai connu que les Comores. Sur l'archipel, c'était calme. C'était un peu l'aboutissement de sa carrière, il s'est voulu bâtisseur. Et il l'a fait. Il a construit des fermes, fait venir des hôtels, des casinos, développé l'agriculture, les constructions. Au bout d'un moment, j'avoue que je me suis ennuyé, j'étais pas exactement venu pour ça... On va pas se racheter une virginité, j'entends bien qu'on était pas des saints.

Y a-t-il toujours, à votre avis, une place pour les mercenaires dans la diplomatie contemporaine ?

Non, c'est fini. C'est la fin d'une époque avec la mort de Denard. De toute façon, il n'y a plus de chef. Les opérations récentes, en Côte d'Ivoire et à Madagascar, étaient vouées à l'échec. Les méthodes ont changé. Maintenant, les mecs travaillent pour des boîtes privées de sécurité. Ça ne m'intéresse pas d'aller là-dedans. De toute façon, avec la rapidité des moyens de communication, vous ne pouvez plus faire un coup d'État avec 30 mecs...

Auteur : propos recueillis par yann saint-sernin